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Des chercheurs proposent une taxe kilométrique québécoise dès 2030

Alain McKenna

17 juin 2024

La stagnation depuis une quinzaine d’années des revenus tirés par Québec de sa taxe sur les carburants crée un sous-financement de son réseau routier qu’une taxe kilométrique pourrait corriger, suggère un rapport de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke publié lundi. En théorie. Car en pratique, cela se complique, nuancent les chercheurs.

L’intention maintes fois répétée du gouvernement Legault de ne pas augmenter le fardeau fiscal des contribuables rend la vie dure à l’idée de revoir le financement des infrastructures routières, mais il faudra le faire tôt ou tard pour éviter la catastrophe, indiquent les trois auteurs de l’étude Remplacer (éventuellement) la taxe sur les carburants par une taxe kilométrique ?, les chercheurs universitaires Luc Godbout, Jean-Philippe Meloche et Michaël Robert-Angers.

« Ce n’est pas dans la continuité de ce que fait le gouvernement, puisqu’il ne fait rien pour régler le problème », explique au Devoir Jean-Philippe Meloche. « Sauf que le modèle de financement actuel ne tient pas », aussi bien pour les routes que pour le transport en commun. « À un moment donné, on devra commencer à y réfléchir. »

Les trois auteurs amorcent donc cette réflexion en proposant la mise en place progressive d’une taxe kilométrique. Elle constituerait une solution de rechange adéquate à la taxe sur les carburants. « Cette solution ressort du lot des mécanismes de prélèvements disponibles, mais elle est relativement complexe à mettre en place », soulignent-ils.

Ils dressent tout de même un calendrier de mise en oeuvre en dix étapes qui mènerait à une implantation de cette taxe au cours de la première moitié de la décennie 2030, même s’ils admettent que « ça va être un processus assez long ».

« L’étude va peut-être amener un gouvernement à au moins mettre en place les premières phases », espère Luc Godbout, titulaire bien connu de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques.

560 $ de plus par année

Une taxe kilométrique qui permettrait de renflouer le Fonds des réseaux de transport terrestre, affecté au financement de l’entretien et du développement du réseau routier ainsi qu’aux services de transport en commun, représenterait une hausse annuelle de taxes moyenne de 560 $ pour les automobilistes québécois. Dans le rapport, on recommande par ailleurs de taxer les recharges faites par des véhicules électriques aux bornes des réseaux publics, pour compenser en partie le fait qu’ils ne paient pas de taxe sur les carburants, puisqu’ils n’en consomment pas.

Le gouvernement est tout de même incité à moduler une éventuelle taxe kilométrique selon les types de véhicules (légers, lourds, électriques et à essence ou diesel) afin de ne pas ralentir la transition énergétique nécessaire pour réduire la pollution du secteur du transport. Par exemple, s’il fallait réduire la taxe sur les carburants à mesure qu’on impose une taxe kilométrique, pour que cette mesure soit « à coût nul » pour les automobilistes, cela rendrait les véhicules électriques moins attrayants, puisque leurs propriétaires ne paient pas de taxe sur le carburant. Pour eux, ce serait une taxe supplémentaire à assumer.

Les usagers de la route québécois, dont la contribution est insuffisante pour assurer l’entretien et le développement du réseau routier, n’assument pas l’ensemble des coûts environnementaux et sociaux de leurs émissions de GES

— La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

Une taxe kilométrique implantée uniformément sur tout le territoire québécois finirait aussi par coûter plus cher aux gens vivant dans les régions rurales ou moins bien desservies par d’autres moyens de transport, et aurait un impact plus important sur les gens dont le revenu est moins élevé, ajoutent les chercheurs. Bien modulée, elle permettrait cependant de décongestionner les routes plus achalandées, comme celles entourant les centres-villes à l’heure de pointe.

Le coût d’implantation de la technologie nécessaire pour calculer cette taxe n’est pas négligeable non plus. Une lecture annuelle de l’odomètre, au moment de renouveler l’immatriculation, est l’option la plus simple, même si l’option de passer par un système GPS semble attirer d’autres pays dans le monde. « Collecter les données pour une taxe kilométrique coûte cher, par rapport à la taxe sur les carburants », dit Michaël Robert-Angers. « Peut-être qu’une autre solution va changer le portrait dans le futur. »

Un déficit d’entretien qui se creuse

Le Québec a grandement négligé au fil des ans l’entretien de son réseau routier et de ses systèmes de transport collectif. Dans son plus récent Plan québécois des infrastructures, le gouvernement Legault évaluait à 37,1 milliards de dollars le manque à gagner nécessaire pour réparer tout ce qui va mal avec les routes québécoises. Ce déficit s’établissait à 16,5 milliards en 2019.

L’étude dirigée par Luc Godbout se demande au passage « pourquoi la contribution des utilisateurs du réseau routier par le biais de la taxe sur les carburants n’a pas déjà été rehaussée ». Ce faisant, selon lui, on aurait davantage favorisé un passage vers des véhicules moins énergivores, y compris les véhicules électriques, contribuant ainsi à la lutte contre les gaz à effet de serre (GES).

Car cette dualité entre les utilisateurs-payeurs et les pollueurs-payeurs est un des éléments qui compliquent le plus la mise en place d’une taxe kilométrique universelle toute simple.

« Les usagers de la route québécois, dont la contribution est insuffisante pour assurer l’entretien et le développement du réseau routier, n’assument pas l’ensemble des coûts environnementaux et sociaux de leurs émissions de GES, dont résultent les changements climatiques, ou encore de la congestion routière qu’ils génèrent », explique le rapport. Par ailleurs, « rien n’est spécifiquement prévu » pour compenser les émissions de particules fines, particulièrement nocives pour la santé humaine, ni la pollution par le bruit.

Appliquer une taxe qui varie en fonction du volume de GES produits par un moteur à essence et par l’achat d’un véhicule à essence aurait pour effet de décourager l’utilisation de véhicules à combustion et les autres véhicules qui échapperaient à une éventuelle taxe kilométrique.

De façon générale, la demande pour le carburant diminue en réaction à une hausse de son prix, constate la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. La solution pour entraîner selon elle un changement de comportement serait de taxer plus lourdement les véhicules à moteur thermique, puis d’offrir à leurs propriétaires un délai raisonnable pour qu’ils adoptent une autre forme de transport.

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